dimanche 23 février 2014

Conseil agricole et l'agriculture familiale au Cameroun: Quelles leçons?

Champs de maïs au pied du Mont Cameroun, sud-ouest





Introduction

 L’amélioration des services d’appui aux producteurs ruraux a toujours été une préoccupation de l’Etat depuis la crise économique des années 80. L’adoption du programme d’ajustement structurel et la définition des nouvelles politiques agricoles (1988-1999) ont mis l’accent sur les stratégies favorisant l’amélioration de la productivité agricole et la compétitivité des exploitations agricole familiales (ACEFA). Ainsi, de 1988 année de création du Programme National de Formation Agricole (PNFA), à 2002 avec le Programme National de Vulgarisation et Recherche Agricole (PNVRA), on a assisté à une évolution des stratégies d’accompagnement des agriculteurs bien qu’étant toujours fondée sur l’approche “Training and visit“ à travers la diffusion des innovations technologiques. A partir de 2002, on est passé d’une approche d’encadrement vers une approche de facilitation-conseil déjà expérimenté depuis 1998 au Nord-Cameroun par l’IRAD et le CIRAD via le PRASAC. Dix années après la mise en œuvre de cette nouvelle démarche d’appui au monde rural, les résultats sont plutôt mitigés et l’on se demande donc quelles leçons tirées des expériences mise en œuvre par divers acteurs en vue de repenser les stratégies pour une appropriation effective du dispositif par tous les acteurs impliquées (Etat, ONG, Organisation Paysanne, Organisation Professionnelle Agricole, etc.).

1    Pourquoi conseiller les petits producteurs?

     Jusqu’en 1998, la plupart des Exploitations Familiales Agricoles (EFA) au Cameroun rencontraient plusieurs problèmes qui constituaient un frein à leur épanouissement. Notamment une gestion incertaines des activités de production (car la prévision des campagnes n’allait pas au-delà une année), une maîtrise insuffisante des itinéraires techniques des productions à l’exception de la culture du coton et du cacao dont les techniques de production ont longtemps été vulgarisées par la Sodécoton et la Sodécao, une mauvaise gestion des ressources etc. Depuis 2008, les nouvelles stratégies de croissance économique imposent le passage d’une agriculture de subsistance à une agriculture d’entreprise  dite de seconde génération. Ainsi donc, il est urgent plus que jamais de renforcer les capacités des producteurs ruraux à travers un accompagnement plus rapproché et mesuré aux besoins réels de ces derniers et ceci via le conseil agricole. Mais quel type de conseil adapté et approprié à la situation des producteurs camerounais ?
     Le conseil de gestion expérimenté par le PRASAC repose sur une approche s’étalant sur trois années allant de la formation au base de gestion en année 1 passant par le suivi technico-économique des parcelles en année 2 pour aboutir à l’élaboration des microprojets en année 3. Ceci s’adressait surtout aux paysans volontaires. Il en est de même du conseil tactique et spécialisé expérimenté dans 5 régions du pays par le Programme d’Amélioration de la Compétitivité des exploitations Agropastorales (ACEFA). Mais ACEFA s’appuie surtout sur les groupements paysans ayant exprimé au préalable une demande d’appui-conseil.  

 Profils controversés desbénéficiaires du dispositif 

La mise en œuvre du conseil agricole demande une base de compétence tant pour les bénéficiaires que pour les conseillers. Au Cameroun, le faible niveau d’éducation des producteurs et des conseillers ou animateurs a constitué la première cause de non appropriation de la démarche. La plus part des producteurs ruraux n’ont qu’un niveau de l’école primaire. Et les outils pas vraiment adapté à ces niveaux s’adressaient tant aux producteurs alphabétisés et non alphabétisés. On note quand même que dans le Nord, le conseil en langue locale le « fufuldé » a amélioré le niveau de compréhension du dispositif surtout le conseil tactique.
Les conseillers au Nord-Cameroun ont au moins le niveau Brevet d’Etudes du Premier Cycle (BEPC) dans le cas du PRASAC et ACEFA, cependant à Akonolinga (Centre-Cameroun) par exemple tous ne possédaient que le Certificat d’Etudes Primaire et Elémentaire (CEPE). Les Conseillers spécialisés du programme ACEFA ont au moins le niveau BAC et deux à trois années d’expériences. Avec ces niveaux, les conseillers sont aptes à la mise en œuvre du conseil tactique reposant sur la prévision des campagnes et le suivi technique des parcelles. Les bilans économiques et tout autre calcul pour ne pas faire mention de la conception des projets, sont difficilement maîtrisés par ceux-ci.  


Au PNVRA les Agents de Vulgarisation de Zone (AVZ) jouent le rôle de conseillers-facilitateurs. Il en est de même à ACEFA qui avait voulu profiter des acquis du PNVRA pour s’implanter et ceci en responsabilisant davantage les AVZ du PNVRA. On remarque ainsi qu’en moyenne 50% des AVZ sont Conseillers de Groupement Paysan (CGP) au programme ACEFA et près de 15% des Superviseurs de Secteurs (SS) du PNVRA sont Conseillers Spécialisés (CS) à ACEFA. Ce même conseil par approche différentes rend ambigüe le fonctionnement. D’abord les AVZ sont ceux ayant longtemps servi dans l’administration sous le “training and visit system“. Ils ont du mal à se délier de leur ancien rôle d’encadreur au profit du nouveau rôle de conseiller-facilitateur. Cette lacune s’observe encore plus chez ceux-là qui sont à la fois AVZ ou SS au PNVRA et CGP ou CS à ACEFA.  On s’interroge sur leur capacité à pouvoir changer quittant des approches standards vers celles plus participatives. Sont-ils à même d’assurer la gestion de l’appui à la demande en conseil qui se fait de plus en plus ressentir dans le contexte actuel de relance de l’économie et surtout des effets du changement climatique dont l’influence sur les étapes de la production agropastorale n’est plus à démontrer.

     Les contenus du dispositif pas toujours adaptés aux demandes de plus en plus ciblées 

Le défi du développement rural repose sur la productivité, la compétitivité et l’amélioration des services de base. Le diagnostic de ces problèmes est facile mais l’organisation des éléments de réponses fiables et concrets doit être planifiée. On note un problème d’inadéquation entre les besoins réellement ressentis et exprimés par les producteurs et les solutions proposées dans la plupart des cas. Ceci parce que les AVZ et CGP ne décèle pas rapidement ces besoins et on aboutit aux solutions inappropriées à ces besoins réels. Ainsi, au regard de la réflexibilité  voulu et la capacité à gérer la flexibilité le long de la chaine, il faudra par exemple que, pour un besoin de formation réellement exprimé, qu’il soit aussitôt relayé le long des différents maillons de la chaine et qu’une réponse soit aussitôt organisée. 

Pour y parvenir, une base de compétence assez élargie du côté des conseillers, superviseurs et techniciens spécialisés ou conseillers techniques doit être existante. Celle-ci devant couvrir les productions animales, les productions végétales, la gestion des exploitations et/ou entreprise agricole rurales, l’élaboration des projets agricoles, les outillages et infrastructures agricoles etc. Tout ceci entraine la nécessité de la mise sur pied d’un dispositif de formation professionnelle dans les écoles de formation agricoles (Ecoles des Techniques Agricoles -ETA, Collèges Régionaux d’Agriculture -CRA, Facultés d'agronomie, etc.), de façon à assurer une offre adéquate de conseil. Ces nouveaux profils professionnels doivent faire un lien entre les besoins en conseil (en terme de dispositif) et la demande des producteurs en fonction des zones agro-écologique du pays.Car on constate des expériences mis en place que, malgré l’engagement noté chez certains conseillers et producteurs, les performances du dispositif sont faibles à cause de l’inadéquation du profil des conseillers, du niveau de formation des producteurs, et le contexte local de développement. Ainsi trouver actuellement un profil professionnel des conseillers répondant à une offre spécifique de conseil est encore difficile.  


             Pilotage et la gestion du dispositif : des facteurs clés 

Le dispositif conseil au Cameroun est actuellement géré par deux types d’acteurs à savoir les programmes étatiques via les ministères (PNVRA, ACEFA et Sodécoton sous tutelle du MINADER et MINEPIA ;  L’IRAD) et les organisations de développement rural et prestataires de services (ADEAC, SADEL, PRASAC etc.). Cependant le financement du dispositif est souvent cause de l’échec d’appropriation de la démarche.
Au Nord, la Sodécoton finançait entièrement son dispositif, mais dans certain terroir non couvert,  la prise en charge du conseiller coûtait entre 60 000 et 120 000 FCFA/an aux EFA dont le revenu annuel moyen est de 200 000 – 300 000 FCFA soit 30-40% du revenu. Ceci a eu un impact négatif vis-à-vis du conseil qui, pour certains paysans, était réservé aux agriculteurs nantis. A Akonolinga, le conseil était entièrement financé par ADEAC via son partenaire SOS faim Belgique. Cependant une somme de 25F/Kg de cacao vendu était prélevée sur le revenu des paysans lors des ventes groupées pour l’amortissement de certaines charges liées au conseil. Dans le cadre du PNVRA et ACEFA, le financement du dispositif revient à Etat à travers ses fonds propres (via les fonds PPTE) (cas du PNVRA) et à travers le C2D rural de l’AFD (cas d’ACEFA).

Il faut remarquer aussi que la rémunération des conseillers joue un rôle important dans la mise en œuvre du dispositif. Au PNVRA par exemple la réduction des primes qui sont passées de 30 000 FCFA avant 2004 à 20 000 FCFA de nos jours constitue une source de démotivation des AVZ, car selon eux, ces primes en dehors de la diminution, sont irrégulières. Il en est de même à Akonolinga où la rupture du contrat entre ADEAC et Sos faim a entrainé des irrégularités de payement des primes des animateurs qui étaient sensés avoir 30 000 FCFA/ trimestre. Ceci a entrainé l’arrêt des activités dans trois des neuf villages couverts. Par contre, dans le cadre du projet ACEFA, la régularité du payement des primes (30 000FCFA/mois), est une source de motivation pour les CGP et ceci améliore leurs actions.

L’absence de suivi des activités dans certaines régions comme à Akonolinga a été à l’origine du disfonctionnement du dispositif. Mais la régularité de tenu des réunions de quinzaine et mensuelles, et l’existence des organes de cogestion sont des atouts qui peuvent consolider les acquis du conseil dans le cadre du PNVRA et ACEFA.
 

 Photo credit Camer.be (Yollande Tankeu)

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